Faut-il arrêter de dire "intelligence artificielle" ?

Faut-il vraiment arrêter d'utiliser le terme "intelligence artificielle" sous prétexte qu'il induit en erreur ?

Une réflexion que j’entends souvent : arrêtez de parler d’intelligence artificielle. Dans une chronique sur France Culture, Aurélie Jean en fait même sa résolution 2024 : ne plus JAMAIS dire “intelligence artificielle”.

La développeuse française explique que le terme "intelligence artificielle" a été inventé à une époque (en 1956) où l'intelligence humaine était réduite à l'intelligence analytique, alors qu’aujourd’hui notre compréhension de ce qui fait l’intelligence humaine est plus complexe (elle comprend l’émotion, l’interaction avec notre environnement, la “conscience” etc) et reste encore assez mystérieuse malgré les progrès récents des neurosciences. De plus, associer en permanence le terme d’intelligence aux algorithmes dits d’IA génère des fantasmes et des peurs inutiles.

Ok. Le débat est intéressant dans le sens où il permet de faire de la pédagogie sur ces technologies.

Mais allons au-delà de la querelle sémantique...

Tout d’abord, si le terme a été inventé à une époque où l’on ne comprenait pas bien l’intelligence, il sert aujourd’hui à désigner aujourd’hui un domaine de recherche et d’applications. Le terme semble flou, mais le domaine qu’il désigne, et les technologies qu’il rassemble, l’est moins.

Mais surtout : il est désormais entré dans l’usage courant. Il sera difficile de revenir en arrière. Il est déjà compliqué de parler d’IA, doit-on rendre le débat encore plus difficile à suivre ?

Plutôt que de s’affronter sur les mots, on pourrait insister sur ce que ces mots recouvrent.

L’intelligence artificielle n’est pas “intelligente”, on le sait. C’est un ensemble plus ou moins homogène de technologies censées permettre de réaliser des opérations qui nécessiteraient habituellement l’intelligence humaine. On pourrait préciser que l’IA est un domaine, et que l’outil d’IA est l’une de ses applications. Performance n’est pas “intelligence”.

Une fois qu’on est d’accord sur la définition de ce que ce terme recouvre, je ne vois pas bien en quoi l’usage “courant” de ce mot poserait problème.

En fait, cette querelle d’experts (dont je ne fais pas partie) révèle une autre rupture : l’émergence des technologies d’IA génère une révolution dans notre pensée comparable à celle de l’héliocentrisme. Lorsque l’humanité a commencé à réaliser qu’elle n’était plus au centre de l’univers. L’intelligence humaine doit-elle encore être le mètre-étalon de l’intelligence ? Le livre “Planta Sapiens”, qui explore l’intelligence des plantes ouvre de nouvelles approches de ce nous avons pris l’habitude de désigner comme “intelligence”. Si la fougère est intelligente alors qu’elle ne “pense” pas et n’a pas de cerveau, faut-il redéfinir l’intelligence ? Ou inventer un autre mot ? J’ai adoré ce livre.

Nous sommes tellement ancrés dans le dogme de l'intelligence neuronale, de la conscience centrée sur le cerveau, que nous trouvons difficile d'imaginer d'autres types d'expériences internes.

Palo Calvo - “Planta Sapiens”